Entretiens directs avec des philosophes pour la classe de Terminale 2
Les élèves de la classe de terminale 2 et du groupe 2 de la spécialité HLP du lycée Jacques Amyot ont eu la chance de participer en direct le 4 avril dernier à une visioconférence en présence des auteurs sélectionnés pour le prix du livre philosophique pour la session 2024.
Il s’agit d’un projet que la classe mène depuis le mois de septembre. Les élèves ont trois ouvrages à lire sur l’année. Ils peuvent soit en faire une simple lecture, soit rendre des travaux écrits, ou faire, tout au long de l’année, des présentations orales des œuvres. Cette année, une centaine de lycées français de métropole, d’Outre-mer, ou de l’étranger participent au prix et une petite dizaine était présente en direct lors de la visioconférence durant laquelle les élèves pouvaient échanger avec les auteurs. Les lycéens auront à voter avant la fin mai pour l’ouvrage qu’ils ont préféré. Les résultats nationaux seront publiés début juin.
Lors de cette visioconférence, chaque auteur a fait une brève présentation de son ouvrage et s’est ensuite soumis à des questions d’élèves représentant les différents établissements.
Anne Alombert a ouvert la conférence avec la présentation de son ouvrage Schizophrénie numérique. Elle a souligné avoir écrit ce livre afin que les jeunes générations prennent conscience des enjeux des techniques numériques, explicitant son titre qui fait référence à une sorte de tiraillement de l’époque contemporaine au sujet des techniques numériques. En effet, deux discours s’opposent. D’une part celui des entrepreneurs qui vendent les outils numériques qui anthropomorphise les intelligences artificielles, par exemple, et empêche une vraie réflexion sur ces outils. D’autre part, les discours scientifiques qui montrent les effets parfois délétères que certains de ces outils peuvent avoir sur nos esprits, nos relations sociales, nos institutions politiques et collectives, etc. Sa démarche a été de prendre du recul en s’intéressant à l’évolution de ces supports techniques qui accompagnent les évolutions de l’humanité. Ainsi, elle a posé le problème de l’économie de l’attention. Elle a insisté sur le fait que son but n’est pas de rejeter les techniques numériques en elles-mêmes, mais de réfléchir collectivement aux meilleures attitudes à adopter à leur égard. Elle s’est ensuite prêtée aux questions de nos élèves. C’est notre lycée qui a eu l’honneur de l’interroger en premier par l’intermédiaire de Salomé qui a repris la contradiction entre les intérêts économiques, politiques, etc. des entreprises du numériques et certains dangers de ces outils pour les utilisateurs en lui demandant quelle pouvait être l’action des pouvoirs publics.
Ensuite ce fut le tour de Guillaume Durand de présenter son ouvrage médecine des désirs. Il a expliqué aux élèves que son travail se situait en particulier sur le terrain clinique car depuis 2019, il dirige une consultation d’éthique clinique à l’hôpital de Saint-Nazaire où il a à évaluer des demandes individuelles de personnes ne souffrant pas de pathologie physique ou psychique particulière mais souhaitant avoir un recours à la médecine pour satisfaire des désirs personnels, tels que : une demande de césarienne pour raisons personnelles, une demande de stérilisation pour raisons environnementales, une demande de concevoir un enfant sourd pour des parents sourds, une demande de gestation pour autrui, une demande de nympho plastie, etc. Son ouvrage pose la question de la transformation de la finalité de la médecine qui ne serait plus de seulement lutter contre les maladies. Répondre à ce type de demande écarterait-il la médecine de sa fonction essentielle ? Par ailleurs, une telle médecine ne serait-elle pas inégalitaire ? Guillaume Durand s’est ensuite prêté au jeu des questions des élèves avec beaucoup de pédagogie en utilisant chaque fois des exemples très concrets permettant à chacun de s’interroger de manière pertinente et de remettre en question certaines de ses certitudes.
Enfin, Valentine Reynaud a présenté son ouvrage y a-t-il des tueurs nés ? Ce dernier est le fruit d’une réflexion qu’elle a menée sur le long terme concernant la question de l’inné. Elle se donne notamment pour tâche d’analyser les différents discours qui sont généralement présentés sur cette question. En effet, le rôle de la philosophie est de mettre à jour les ambiguïtés des termes, comme c’est le cas ici. Elle a précisé les potentielles dérives idéologiques de certains de ces discours et s’est demandée s’il était possible d’éviter un tel usage idéologique et de s’orienter vers un usage heuristique, sa question centrale étant de savoir comment penser pleinement les possibilités que peut développer chaque individu humain. Pour y répondre, elle s’est intéressée à différents cas pratiques : celui des tueurs, celui du développement du langage et de l’apprentissage des langues, celui du développement des différentes facultés chez le bébé, celui de l’acquisition des valeurs morales de chaque individu. Elle a ensuite répondu aux différentes questions des élèves en prenant des exemples concrets de manière à éclairer les concepts tels que la mesure du QI et son sens, la question des enfants sauvages, ou encore de l’importance de l’éducation permettant différentes situations d’apprentissages essentielles pour le développement de facultés.
Cette après-midi de conférence a constitué pour nos élèves un moment unique. Les trois auteurs se sont montrés particulièrement à l’écoute de leurs questions et y ont répondu de la manière la plus claire et précise possible. Les élèves ont été très sensibles à leurs discours pédagogiques, concrets ainsi qu’à leur bienveillance et à la proximité dont ils ont fait preuve à leur égard. Ce fut un moment extrêmement enrichissant pour tous et motivant, même pour certains élèves pour lesquels la lecture d’œuvres philosophiques s’avère parfois difficile. Nous tenons à remercier chaleureusement Czeslaw Michalewski, Didier Bregeon et Jean-Luc Gaffard, organisateurs de la conférence, ainsi que Anne Alombert, Guillaume Durand et Valentine Reynaud, auteurs, de nous avoir permis de participer à un tel moment qui a conduit les élèves à avoir un échange direct avec des philosophes, et ainsi, à prendre conscience, par un biais différent du cours habituel, combien cette discipline est à la fois actuelle et bien vivante.
Enfin, je tiens à remercier et à féliciter Florian Jean et Maëlle Wawro pour leur assistance technique très efficace à la fois lors des séances de préparation et le jour de la conférence, ainsi que Salomé Ranc-Rigalle et Sasha Emery, qui ont été les dignes représentants de notre lycée grâce aux questions pertinentes et claires qu’ils ont posées aux auteurs qui y ont été particulièrement sensibles, ayant apprécié la lecture attentive et perspicace de leurs œuvres par les élèves de la classe.
Emmanuelle Bardos-Schlemmer, professeure de philosophie de la classe de terminale 2 et du groupe 2 de la spécialité HLP.
Dossier pédagogique de la conférence
Vidéos de la conférence :
Vidéo 1 : Anne ALOMBERT, Schizophrénie numérique
Vidéo 2 : Guillaume DURAND, La médecine des désirs